lundi 28 décembre 2009

Pour 2010

Dix années se sont écoulées depuis le symbolique basculement dans le nouveau siècle, dans le nouveau millénaire. Lorsque j’étais enfant, puis adolescent, dans les années 70, je fantasmais les années 2000. J’imaginais qu’elles seraient le reflet d’un monde en progrès, un monde où la science, alliée à la philosophie et à l’art, permettraient de faire de nos vies, sinon des œuvres d’art, pour le moins des existences exaltantes, aptes à faire naître tous les enthousiasmes, en nous et autour de nous. Un monde où les richesses auraient également pu être suffisamment partagées pour que plus personne ne reste au bord de la route.

Le monde de tous les possibles, en quelque sorte.

Un rêve ? Une illusion perdue, plutôt. Quarante années ont passé. « On voulait juste des jours meilleurs… » ou encore « You may say I’m a dreamer… », cela n’était rien que des chansons, en fin de compte. Et rien n’a réellement changé.

Bien sûr nous avons de superbes téléphones mobiles qui photographient, filment, naviguent sur Internet. Bien sûr nos ordinateurs personnels feraient pâlir d’envie les ingénieurs de la NASA des années 60. Bien sûr, nos automobiles sortent presque toutes de leur chaîne d’assemblage équipées de systèmes de climatisation et de navigation. Bien sûr nos téléviseurs captent plus de programmes que nous ne sommes capables d’en ingurgiter quotidiennement. Bien sûr, pour la plupart, nous possédons nombre de ces jouets pour grandes personnes… Nous travaillons pour les acquérir, nous collectionnons les crédits, nous nous privons parfois de l’essentiel pour obtenir ces leurres qui finalement ne nous offrent que d’éphémères plaisirs…

Mais qu’en est-il de ce monde de tous les possibles dont je rêvais enfant ? Qu’en est-il du bonheur puissant de faire en sorte de ressembler à celui que j’ambitionnais de devenir dans ce monde-là ?

Côté Français, les interdictions, les retours forcés dans leurs pays en guerre des exilés sans-papiers, les répressions, les grands discours sur l’insécurité, les débats sur l’identité française… ont pris le pas sur les libertés, la justice, la fraternité… « Et si d’un président à un autre président nous n’avons pas transformé notre façon de tendre la main, c’est qu’un autre président ne pouvait rien pour nous et qu’il n’était pas aussi important que cela qu’il ait changé... » Tout est dit, finalement, dans cette phrase d’Yves Simon. Et de l’autre côté de nos frontières, le monde a connu, ces dix dernières années, ses horreurs habituelles, ses ravages, ses tours effondrées, ses guerres fratricides, ses attentats, ses épidémies et autres affaissements économiques et financiers.

Pour 2010, je fais pourtant ce vœu : que vous osiez succomber à la fascination exercée par les quelques vraies pépites que vous trouverez peut-être sur vos routes. Que vous vous hasardiez à vous laisser séduire par des regards rencontrés, des sourires partagés, des mots prononcés pour vous, d’une infinie douceur… Et que vous tendiez la main pour les emporter avec vous, contre vous, en vous… Pour en faire des talismans intimes qui vous éclaireront longtemps, comme des étoiles inespérées dans la nuit.

Chutes

C'est à croire que nos existences sont régies par les chutes. Nous passons notre temps à tomber amoureux, à tomber malades, à tomber raides, à tomber en extase devant une sublime... chute de reins. Les femmes tombent enceintes. A la guerre, les hommes tombent comme des mouches. On dit qu'ils sont tombés pour la Patrie. Parfois, on tombe à pic, d'autres fois bien bas. Nos cheveux tombent, nos dents. Le brouillard tombe, ainsi que la nuit. D'autres fois, encore, on tombe sur un os et nos projets, alors, finissent par tomber à l'eau. Seul le jour se lève. Le soleil, aussi. Il ne tombe jamais. Il se contente de se coucher. Alors, peut-être qu'un matin, juste avant l'aurore, je laisserai tout tomber. Juste avant que la nuit ne s'achève.

Black is black

Un cliché pris par l'auteur Jean-Marc Demetz, lors d'une séance photos à Templemars : une photographe surprise en train de me photographier.
Photographier, éthymologiquement, signifie "écrire avec la lumière". Ici, c'est pourtant noir sur noir...

dimanche 27 décembre 2009

Escales hivernales 2009

mercredi 18 novembre 2009

Escales hivernales

Je serai, les 12 et 13 décembre prochains, à la 4e fête du livre de Lille « Escales hivernales ». Ça se passera au Tripostal, avenue Willy Brandt à Lille, à partir de 13 heures. Au programme : expositions, slam session, grande librairie et dédicaces, cafés littéraires, ateliers d’écriture, lectures spectacles, tables rondes et débats et espace littérature jeunesse. Pour tous les goûts, donc.

En ce qui me concerne, je participerai samedi 12, à 14 heures, à un café littéraire « L’heure du polar ». J’y répondrai, en compagnie d’autres auteurs, aux questions de Philippe Lefait (Des mots de minuit, France 2) et de Minh Tran Huy (Rédactrice en chef du Magazine Littéraire). Le même jour, à partir de 15 h 45, séance de dédicaces. Dimanche 13, à 16 h 30, je participerai à une scène ouverte aux éditeurs de la région, « C’est édité près de chez vous ». L’occasion pour les éditeurs du secteur de présenter leurs auteurs.

Le programme complet est téléchargeable ici.

Venez nombreux !

lundi 16 novembre 2009

Emily Loizeau, l'alchimiste

L’autre bout du monde… Le 13 novembre, en soirée, c’était au Splendid de Lille. Un lieu transformé pour l’occasion en Pays sauvage, un lieu comme un étrange au-delà, un nid féerique pour Emily Loizeau et ses musiciens. Le concert fut magique : puissance et fragilité, douceur et rythmes envoûtants, poésie tendre et humour… un superbe et incroyable mélange. Difficile de décrire avec des mots ce qui ne peut être qu’expérimenté, ce qui ne peut être qu’écouté et goûté en direct. En réalité, désolé pour vous, il fallait y être, se laisser envouter par la voix. Je ne parlerai pas de talent, le mot est usé et faible. La vérité, c’est qu’Emily Loizeau est une alchimiste : elle transmue en or les limailles de fer glanées ci et là dans l’existence. Une chose m’est aujourd’hui évidente : il y a quelque chose qui ressemble à de la tristesse à m’apercevoir que certains ne la connaissent pas, passant ainsi à côté de l’essentiel : l’émotion pure. Moi, je sais que ce soir du 13 novembre, j’ai frôlé un duvet d’ange. J’en ai gardé un peu, rien que pour moi, pour qu’il m’accompagne là où tout peut faire mal, de ce côté-ci du monde. Comme une consolation face à tout ce qui nous lamine, jour après jour.

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vendredi 13 novembre 2009

Portrait en noir et blanc d’Angéla Küber

Parfois, je sors du placard les boîtes en carton où j’ai rangé mes photos, ces ersatz figés et glacés de ma mémoire défaillante. En observant les sourires, les silhouettes et les regards du passé, j’essaie de faire réapparaître dans mon cerveau les voix et les rires. C’est difficile. Souvent, je n’y parviens pas. Les visages en deux dimensions, immobiles, restent muets.


Ce soir, comme chaque fois que je visite mes boîtes à photos, je reviens sur ce portrait en noir et blanc d’Angéla Küber. Elle avait trente ans, sur le cliché. Ses yeux et ses cheveux très noirs contrastaient avec la douceur de ses traits. Jamais, depuis, je n’ai rencontré un tel visage, aussi beau qu’étrange, teinté à la fois de joie et de mélancolie.

Elle avait écrit, au dos de la photographie, ces quelques mots : " j’aime en toi ta part d’ombre, ton mystère ". Mais c’est bien elle qui fut un mystère. Et qui le demeure, encore aujourd’hui. Moi, je ne crois pas avoir jamais été mystérieux. Taciturne, peut-être, discret, fermé sur moi-même, peu enclin aux confidences.

Angéla Küber fut une bouleversante énigme, un météore dans ma vie. Les quelques mois que nous avons partagés, l’année de mes trente ans, ont suffi à m’irradier en profondeur. C’était il y a pas mal de temps, vingt ans.

En mai dernier, si elle est encore de ce monde, elle a eu cinquante ans, comme moi. Ça me fait un drôle d’effet de l’imaginer en femme mure. Quand je pense à elle et à ce que nous avons partagé, je m’interroge sur sa vie et je me demande si elle a beaucoup changé. Je ne sais pas si elle pense encore à moi, parfois. C’est si loin. Mais je ne pense pas avoir marqué sa vie comme elle a ébranlé la mienne. Je me plais pourtant à supposer que, parcimonieusement, elle fait resurgir, du gouffre obscur du passé, mon image brouillée par le temps.

Certains soirs, je l’imagine vivant dans cette ville où elle m’avait dit qu’un jour elle irait rejoindre son frère, Houston, au Texas. Au bout du monde. Mais était-ce vrai, avait-elle vraiment eu un frère exilé en Amérique ? Si elle s’y est rendue, peut-être a-t-elle quitté les États-Unis, depuis, peut-être est-elle quelque part en Europe, en France, même. C’est une possibilité. Après tout, sa mère était française. Elle m’avait dit qu’elle vivait à Paris, qu’elle tenait une librairie, rue Lepic. Mais je n’ai jamais retrouvé ce magasin.

Je ne sais pas si Angéla Küber vit encore. Elle a disparu sans laisser de traces un jour de décembre 1987. Elle s’est volatilisée.

Extrait de "D'où vient Angela Küber" - Editions Ravet-Anceau

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jeudi 12 novembre 2009

De l'autre côté

Écrire un livre, c’est façonner avec de l’encre un miroir magique et chercher ce qu’il y a derrière, de l’autre côté.
Dans les livres, il y a souvent quelqu’un qui ressemble à celui qui les écrit, son image inversée, déformée. Et un monde. Celui qui évolue derrière le tain du miroir. Ce monde-là peut ressembler à tous les mondes. Il suffit de déplacer le miroir pour changer le décor et le cours du temps.
Ce n’est que cela, finalement, écrire. Déplacer un miroir et décrire ce qu’on y voit. Bien sûr, cela n’est jamais réel. Ça ressemble à la réalité mais on sait qu’il n’en est rien. Il faudrait être fou pour croire cela.
Et parfois, Adrien est fou. Fou au point de croire que Matilda est là, déjà, près de lui, qu’elle n’est pas loin. Et qu’il y a entre eux quelque chose qui le dépasse. Qui les dépasse.
" C’est impossible, ce que vous écrivez dans vos livres. " C’est cela qu’il entend parfois. Effectivement, ce qu’Adrien écrit dans ses livres est impossible, ne se peut pas. Mais n’est-ce pas le propre des livres de raconter des histoires impossibles ?


Extrait de "Rue des Poètes, un de me romans non publiés

mardi 10 novembre 2009

Colum mc Cann - La vie du monde ne tient qu’à un fil

Un câble d’acier comme fil conducteur d’une histoire… Il fallait y penser. Il fallait surtout être capable d’en faire un roman. Colum Mc Cann, auteur New-yorkais d’origine irlandaise, a osé l’écrire. Au fil des pages, on plonge au creux de plusieurs histoires qui se côtoient et ne tiennent qu’à un fil, celui du funambule français Philippe Petit, qui, en août 1974, a marché et dansé entre les Twin Towers, à Manhattan : un prêtre irlandais écartelé entre Dieu et son amour pour une jeune femme, des mères de soldats morts au Vietnam, d’horizons socioculturels tellement différents qu’elles peinent à partager leur douleur, un couple d’artistes peintres qui rame vers sa déchéance après avoir connu un succès éphémère, un adolescent qui, au péril de sa vie, photographie les tags dans les souterrains du métro, des informaticiens californiens qui trifouillent les lignes téléphoniques pour écouter la rumeur du monde et suivre en direct l’exploit du man on wire, une putain New-yorkaise emprisonnée et désespérée d’avoir perdu sa fille… Un étrange ballet, rythmé par celui du funambule, allégorie d’un monde en équilibre, prêt à s’effondrer mais qui sans cesse se relève. Un roman remarquable, à lire absolument.

Et que le vaste monde poursuive sa course folle - Colum McCann – éditions Belfond

jeudi 15 octobre 2009

Les romans de Ravet-Anceau sur IPhone

Les romans de Ravet-Anceau sont désormais accessibles en fichiers numériques sur iPhone. Une soixantaine de romans régionaux peuvent être téléchargés (y compris ceux épuisés en librairie) à un prix inférieur de 20% à la version papier. Ravet-Anceau est le premier éditeur régional à mettre une partie de son catalogue sur iPhone. Il suffit de se connecter avec son iPhone sur le site http://www.ravet-anceau.fr/.
Par ailleurs, grâce à une technologie développée par la société villeneuvoise Nord Compo, les romans Ravet-Anceau sont également disponibles sous forme de fichiers numériques lisibles sur e-reader : ombres blanches - Livres numériques

vendredi 2 octobre 2009

Un homme, de Philip Roth

Un homme… Unique, comme tout homme. Pluriel, car chacun peut y reconnaître ses propres fêlures, ses propres défaites. Ce roman, sans doute le plus touchant de Philip Roth, est l’histoire d’un homme face à lui-même, parvenu au terme de sa vie. Hanté par le spectre de la mort qui, plusieurs fois, l’a frôlé, il l’attend. Et se souvient. Trois mariages ratés, un frère qu’il aime mais qu’il jalouse pour sa bonne santé, deux fils qui le détestent parce qu’il a quitté leur mère, une fille qui l’adore et qu’il adore, d’autres femmes, maîtresses ou petites amoureuses… Elles sont les éternelles enfouies en lui. Observant son parcours jalonné d’extraordinaires banalités où s’emmêlent les amours, les déceptions, les maladies, les joies, les rêves brisés, la fugacité du bonheur, il médite sur notre impitoyable précarité. En fin de compte, c’est l’histoire d’un homme qui se dit qu’avec le temps, il s’est inexorablement éloigné de l’homme qu’il aurait voulu être. Un tragique testament ? Ne vous y trompez pas, il s’agit d’un livre plus léger que triste où sourdent d'enivrantes obsessions. « On aura beau tout savoir, tout manigancer, tout organiser, tout manipuler, penser à tout, le sexe nous déborde », a écrit Philip Roth dans un autre roman, La bête qui meurt. C’est aussi de cela dont il s’agit ici : de nos indispensables dérives.

Un homme – Philip Roth – éditions Gallimard - éditions Folio

jeudi 2 juillet 2009

La route, de Cormac McCarthy

Des routes, des ruines, des carcasses de voitures. Le monde est en cendres. Plus rien ne vit. Un homme et son enfant sont peut-être les uniques survivants d’une tragédie dont on ne sait rien mais qui ressemble à une apocalypse nucléaire. Poussant sur l’asphalte défoncé un caddie de supermarché dans lequel sont entreposés les éléments de leur survie - nourriture avariée, couvertures et vêtements pourris - ils marchent dans les débris. Croisant des cadavres, déambulant dans les décombres du monde, ils se traînent, affamés, vers l’océan, à travers ce pays inconnu qui pourrait être n’importe quel pays industrialisé anéanti. Écumeur des vestiges, le père, à bout de souffle, presque mourant, cherche continuellement des conserves périmées pour les offrir en nourriture à son petit garçon. Un parcours lent, très lent. Très dur. La pluie, le vent, la neige, le froid lancinant, la nuit. La peur, surtout. La peur, toujours, partout. Pour survivre, il leur faut marcher, continuellement, pour trouver leur pitance. Ils rencontreront quelques " survivants " anthropophages, des humains rendus à l’état animal dans un univers en décomposition. Ils feront tout pour leur échapper, envisageant même la fuite ultime, le suicide. McCarthy, dans un style minimaliste, allie roman réaliste et récit philosophique : peu d’évènements, la simple description d’une inutile quête, d’une lente dérive et surtout le souffle pur de ce qui fait survivre, ce qui reste d’humanité quand tout manque, quand il n’y a plus rien : l’amour, l’espoir. Mais un espoir qui ne tient plus qu’à un fil dans un contexte désespérant.

La Route - Cormac McCarthy – Éditions de l’Olivier : le roman idéal pour passer dans un autre monde où les ombres sont plus vivantes que les hommes. Un chef d’œuvre.

lundi 29 juin 2009

Jean-Christophe Gérard, créateur d’atmosphères

" Un type qui écrit est difficile à supporter. Un type qui ne parvient pas à écrire est invivable. Je laissais toujours le volume du téléphone réglé au minimum. J'en faisais une affaire de principe. Une dérisoire compensation que je me sentais tenu d'offrir à ma femme et à ma fille : j'étais invivable, mais au moins avais-je l'élégance d'être le moins bruyant possible … ".

De l’élégance, comme Jean-Marc Parisis cité plus bas, Jean-Christophe Gérard n’en manque pas. Mais cette élégance, au contraire de son personnage Fabien Gabryel, ne résulte pas de son silence mais bien des mots, assemblés avec un soin particulièrement minutieux, tout au long de son roman " Le Bûcher de la salamandre ". In fine, si l’histoire et l’intrigue ont bien évidemment leur importance, on s’aperçoit qu’on s’est laissé littéralement emporter, au fil des phrases et des chapitres, dans une ambiance que ne renieraient pas un Raymond Carver ou un Frédric Brown. Car Jean-Christophe Gérard a réussi, sans le vouloir m’a-t-il assuré, à écrire un roman à l’Américaine (bien que l’action se déroule à Lille et dans ses environs) sans sombrer dans les encriers larges comme des coffres-forts dans lesquels Marc Levy et Guillaume Musso plongent leur grosse plume sans poésie. Jean-Christophe Gérard est donc une sorte de Monsieur Jourdain moderne, qui fait de l’excellente prose façon " atmosphère américaine " sans le savoir… L’atmosphère en question, on y est baigné dès les premières lignes et, croyez-moi, on ne s’en extrait pas si facilement. Le Bûcher de la salamandre est un roman à l’humour désenchanté, bien sombre comme il faut, avec des personnages rugueux et visités par leur auteur jusqu’au plus profond de leur âme passablement tordue. A lire lentement, à siroter comme un vieil alcool, un Havane aux lèvres, au fond d’un vieux fauteuil au cuir usé. Prévoir plusieurs heures car, avec ce genre de livre, on apprend l’art du dosage : vous aurez, très tôt dans le roman, vraiment envie d’en savoir plus tout en voulant économiser votre lecture, histoire ne pas arriver trop rapidement au mot " fin ". Après, vous vous lèverez de votre fauteuil, vous irez vous chercher une bière bien glacée dans le réfrigérateur. Vous la boirez par petites rasades, en observant la rue par la fenêtre, les yeux vaguement plissés pour filtrer la lumière un peu trop crue. Et vous vous direz, pour vous-même : " mince, c’est déjà fini… Vivement qu’il sorte un autre bouquin, Jean-Christophe Gérard… ". Il paraît qu’il en prépare un autre, justement. Ca tombe plutôt bien. Il suffit d’attendre. Pour patienter, vous pouvez toujours relire " Le Bûcher de la salamandre "…

Le Bûcher de la salamandre – Jean-Christophe Gérard - Editions Ravet-Anceau.

Physique, de Jean-Marc Parisis

Jean-Marc Parisis est un écrivain qui a de l’élégance. Son style est sec et douloureux, sans complaisance. " Physique ", qui aurait pu s’appeler " L’existence à rebrousse temps ", trace l’histoire d’un avocat quadragénaire, aisé et reconnu, propriétaire d’un 200 m2 place du Trocadéro à Paris, qui n’a pourtant pas toujours eu la vie facile. A 7 ans, il perd ses parents et finit d’être élevé dans un orphelinat. Résolument tourné vers l’avenir, cependant, il travaille et travaille encore. Ses études le mènent à une brillante carrière, une revanche sur la vie. Entre temps, il est foudroyé d’amour pour Catherine, qu’il épouse. Un matin, alors que son couple bat de l’aile, qu’il est devenu un " bourgeois " cynique et désabusé et qu’il vient de violer une amie de sa fille, il se réveille dans un corps rajeuni de 15 ans. A partir de ce jour, le moment d’euphorie passé, tout va devenir compliqué pour ce Dorian Gray revisité. " Physique " est le roman d’une déliquescence morale juxtaposée à une régénération physique. Un paradoxe haletant qu’on dévore jusqu’à la dernière lettre.

Physique - Jean-Marc Parisis. - Editions Stock

jeudi 18 juin 2009

Jive : de Ray Charles à Jimi Hendrix

Jive, c’est le groupe fondé en 2004 par Thierry Daniaux : au chant, Mara ; à la guitare, François ; au saxophone, Yves-Vincent ; à la basse, Éric. Thierry est le batteur. Les musiciens de Jive ont une passion pour la musique afro-américaine et des artistes apparemment aussi éloignés que Ray Charles, Kenny Burrell, James Brown, John Scofield, Joshua Redman... ou Jimi Hendrix. Jive fait des reprises de ces nombreux artistes : des interprétations nouvelles ou parfois fidèles, mais toujours dominées par le désir de partager cette musique en la faisant vivre. Mais vous aurez du mal à vous faire une idée de son style sans l’écouter. Le groupe se produit deux fois par mois : jivé ? jivépa ? N’hésitez pas, vous en prendrez plein les oreilles ! Pour tout renseignement sur le calendrier des prestations, rendez vous sur http://jivegroup.free.fr/.

Jive : en argot, ce terme signifiait à l’origine " tromperie " ou " duperie ", comme dans une chanson de Louis Armstrong, " Don’t Jive Me ", de 1928. Après s’être longtemps appliqué à un style de jazz et à une danse particulière, ce mot, utilisé par les DJ des radios américaines, a servi à décrire l’argot des musiciens de jazz, qui recouraient à un langage codé (jive talking) pour dissimuler des pratiques illégales liées à leurs habitudes d’héroïnomanes.

jeudi 11 juin 2009

Christian Bobin, l’âme entrebaîllée

Une Bibliothèque de nuages
"Décembre. Il fait froid et sec. J'entends les morts qui se rapprochent de nous, j'entends les os des feuilles mortes craquer sous leurs pieds de lumière. L'hiver fait le travail des grands maîtres : il simplifie."


Christian Bobin délivre, dans une bibliothèque de nuages, ses méditations sur le temps, le rêve et l’absence. La traversée éthérée d’un automne, d’un hiver et d’un printemps. Les cinéastes mettent en scène, les peintres mettent en couleurs, les écrivains mettent en mots. Christian Bobin fait plus que cela : il met en lumière. Il décèle, dans les interstices sombres ou anodins du monde, la moindre lueur capable de nous éclairer d’un dernier espoir. Ses mots sont polis, c’est-à-dire décrassés de l’encre sombre dont ils semblent pourtant constitués. Ils sont luisants, aussi, comme si une fine pellicule d’eau les recouvrait, les rendant plus limpides encore à notre compréhension : "Chaque fois que je m'éloigne d'une page fraîchement écrite, je découvre à mon retour ce qui a fané sur les rameaux de papier, recroquevillé d'inutile. Le temps qui passe est un ami précieux qui nous dépouille du superflu."

Une Bibliothèque de nuages – Christian Bobin – Éditions Lettres vives
La Dame blanche

Décrire une âme, la dessiner par les mots, la faire surgir, blanche et éblouissante dans l’encre sombre sur le papier… Écrivain ermite et magicien du verbe, Christian Bobin brosse, avec le pinceau touchant et imagé qu’il a su façonner au fil de ses nombreuses années d’écriture, le portrait d’Émily Dickinson, poétesse américaine du 19e siècle. Un livre curieux à mi-chemin entre biographie et roman, rédigé dans un style aérien et lumineux pour retracer en touches légères l’existence d’une recluse qu’on aurait pu imaginer obscure. Obscure, il n’en et rien : on s’aperçoit que la dame blanche d’Amherst a passé sa vie à dévisager les anges, loin du bruit du monde, avec pour seul écart au silence la musique de son piano dont elle effleurait les touches. Lorsqu’elle est décédée en 1886, à l’âge de 56 ans, Émily, la gardienne des vies évanouies, n’avait plus vu un visage inconnu depuis 25 ans. Mais elle a laissé dans ses tiroirs sa profonde empreinte d’amour du monde et des êtres qui le peuplent, deux mille poèmes d’une inouïe beauté : " l'âme doit toujours être entrebaîllée ", écrivait-elle.

La Dame blanche – Christian Bobin – Éditions Gallimard

Yves Simon, les rumeurs d’un artiste éprouvé

Épreuve d’artiste
A noir, E blanc, I rouge… Rimbaud et ses voyelles nous ont emportés, adolescents, vers une certaine idée retrouvée de l’éternité. Yves Simon nous propose, en plus des voyelles, les consonnes poétisées de l’alphabet, sous la forme d’un dictionnaire intime, " Épreuve d’artiste ", paru chez Calmann-Lévy. Sur la base de plus de 250 mots choisis, il nous déroule " la liste des choses qui font battre son cœur ". Des choses, des lieux, des œuvres, des gens aussi, comme l’actrice Juliet Berto, le chanteur Georges Brassens, l’écrivain Marguerite Duras, le multiforme Serge Gainsbourg… Des mots qui ont ponctué sa vie en l’escortant sur des sentiers où tout se mêle : musique, littérature, amitié et amour.

Rumeurs

Le dernier album d’Yves Simon, Rumeurs… Des guitares dépouillées, une voix fragile au timbre immuable, pour revenir au folk mélancolique de ses débuts. 13 titres superbement produits par l’ex-Valentin Jean-Louis Piérot, qui font la part belle à l’intime et permettent d’apprécier la portée de l’influence d’Yves Simon sur la nouvelle scène française.


" Épreuve d’artiste " et " Rumeurs " sont les derniers exercices d’un enfant de 64 ans, témoin talentueux du mystère d’entre les gens, des liens invisibles qui les unissent.

Dry out, à consommer sans modération

Le dernier album de Dry Out, " Noisemeter", est sorti chez Chabane’s records. En 3 années d’existence, une quarantaine de concerts nationaux et un CD 4 titres " Stage on fire " sorti chez Chabane’s records, Dry Out a réussi à s’installer sur la scène rock lilloise. Son style ? Difficile à définir... Il provient de la rencontre improbable entre Cédric (un fan de cold wave et de rock expérimental), Goulwen (un amateur de punk US), Ben (un fou de fusion) et Colas (un métalleux). Le groupe, qui allie puissance, énergie et mélodie pour un son qui lui est propre, distille un mélange détonnant de punk 70’s et de grunge 90’s. Loin des mauvaises copies de groupes connus ou du son formaté par les majors, Dry Out, c’est du rock brut et pêchu qui prend vie sur scène. Si vous souhaitez guetter la sortie du CD ou tout simplement découvrir cet univers rock’n roll à souhait, rendez-vous sur le site internet du groupe : vous y trouverez la bio, les prochaines dates de concerts, quelques extraits, des photos,... bref tout ce qu’il vous faut savoir avant de venir les voir/écouter sur scène.

Cat Power, à écouter et à rêver

Ecouter les chansons de Cat Power permet de s’esquiver de la vie dans un presque silence. Il n’y a rien autour des notes. Au creux de la voix glisse un murmure, loin des mots, loin de toute compréhension. Un murmure dans lequel on entend ce qu’on veut y entendre, la rumeur des souvenirs. Un murmure qui peut parler de visages perdus. Rien ne tourmente chez Cat Power, tout apaise. Le piano, la guitare égrènent les notes. La voix racle les pensées, en douceur. Une tristesse, pourtant, se dégage. C’est peut-être notre propre mélancolie qui s’enfuit ainsi, emportée par fragments délicatement détachés. Cat Power, alias Chan Marshall, est une chanteuse et parolière américaine, complexe et insaisissable. Sa carrière est jalonnée de petites merveilles à écouter et à rêver, comme les impressionnants albums " Covers record " et " You are free ". Sans oublier " The greatest ", sorti en 2006. Un écrin pour des chansons comme des joyaux.


Discographie
Dear Sir (1995, Plain Records) - Myra Lee (1996, Smells Like Records) - What Would The Community Think (1996, Matador Records) - Moon Pix (1998, Matador Records) - The Covers Record (2000, Matador Records) - You Are Free (2003, Matador Records) - The Greatest (2006, Matador records)

Raymond Carver, parlez-nous donc d'amour

Chez Raymond Carver, les tranches de vie ont un goût amer, celui du malheur. Le nouvelliste décrit des mondes qui partent en morceaux, des gens à la dérive, l’ennui, l’alcool, les existences ordinaires de petits Américains normaux et pourtant paumés, pour qui tout se dérobe : la vie, l’amour et surtout les rêves. " Les choses changent ", écrivait Carver, " je ne sais pas comment ni pourquoi mais elles changent sans que l’on s’en rende compte ni qu’on le désire ". Toujours vers le pire, c’est pour lui évident. Un univers de désespérance, un regard oblique sur la vie, à découvrir ou à redécouvrir.

" Parlez-moi d’amour ", en livre de poche, collection Biblio. 17 nouvelles déglinguées, comme l’homme, décédé en 1998 avant d’avoir atteint 50 ans.

vendredi 29 mai 2009

Once

Film irlandais de John Carney, sorti sur les écrans en mars 2007, " Once " raconte la rencontre de deux paumés dans les rues de Dublin. Ils vont vivre une émouvante histoire d’amitié sertie au creux de leur passion commune, la musique. Amitié amoureuse ou amour asexué ? Difficile à dire… Les sentiments se télescopent et se mélangent au rythme des chansons, superbes. La jeune femme, pianiste, interprétée par Markéta Irglova, est mariée à un homme qui est resté en République tchèque à cause d’un problème de visa. Pour vivre, elle vend des roses. L’homme, réparateur d’aspirateurs, mais aussi guitariste et chanteur des rues, interprété par Glen Hansard (le leader du groupe irlandais The Frames), sort d'une douloureuse rupture amoureuse… John Carney, le réalisateur, est avant tout un musicien. Il a fait le pari de mettre en scène des musiciens qui savent jouer la comédie et non des acteurs qui savent chanter. Il a également osé faire un film axé sur la musique, dont le scénario tient sur un timbre-poste. Un double pari néanmoins réussi, car au final, le film est réellement magique. A voir et à écouter sans modération, les mélodies et les personnages ne vous quitteront plus.

La musique du film Once, composée par les deux protagonistes, a obtenu l’oscar 2008 de la meilleure chanson. Le film existe en DVD, la bande originale en CD.

N’aimer personne, de Brigitte Niquet

Peut-on aimer quand on n’a pas refermé les plaies vives de son passé intime, celui de l’enfance ? Et surtout, peut-on guérir de ses lointaines souffrances, sédimentées dans un coin du cerveau ? Dans « N’aimer personne », quatre itinéraires s’enchevêtrent et se combinent, de l’enfance à l’âge adulte. Quatre destins dévastés par la disparition d’un père, par l’amnésie d’une mère envers sa fille, par d’impitoyables rapports familiaux. Quatre personnages féminins que Brigitte Niquet dépeint sans fioritures, dans un style coloré. Les mots de la narratrice sont en effet ceux de tous les jours, des mots cruels pour témoigner de la violence ordinaire de la vie. Brigitte Niquet est Lilloise, elle a été mon professeur de lettres. « N’aimer personne » a reçu le prix du Furet du Nord 2004.

N’aimer personne, de Brigitte Niquet – Éditions Ravenala

jeudi 14 mai 2009

A la fenêtre

Nikos m’écrit souvent. Des mails d’amour, de réconfort. Ce soir, j’ai reçu celui-ci :

" Ce midi, tu étais là, près de moi, avec tes rêves un peu brisés. Moi j’étais silencieux, presque, incapable de prononcer les mots justes pour t’aider à les réparer. Peut-être qu’ils n’existent pas à portée de lèvres, ces mots, peut-être sourdent-ils seulement au plus profond de toi. Moi je sais qu’un jour tu les découvriras et qu’ils scintilleront pour éclairer ta route. Moi je sais qu’un jour tu iras là où je n’irai jamais.

Ce midi, tu étais là, près de moi, émouvante de cette beauté tourmentée que l’on ne rencontre que rarement : la beauté fraîche du visage et du regard, en harmonie avec celle de l’âme, tellement authentique qu’elle en est palpable. Je ne te l’ai jamais dit, mais il y a en toi quelque chose d’indescriptible qui éblouit. Peut-être est-ce simplement ta façon d’exister, d’exister vraiment, d’exister plus que d’autres. Peut-être cela tient-il à ta façon d’imprimer, avec élégance, ta présence dans tous les lieux où tu passes.

Ce midi, tu étais là, près de moi, et j’étais bien. Et des filaments de tes sourires restent accrochés à mes doigts. "

La proximité de Nikos me rend heureuse. Tout simplement heureuse. Je m’approche de sa chair, de l’attrait de sa chair et je m’émeus de ses arômes, des parfums qui ondoient à la banlieue de sa peau. C’est comme un lancinant vertige déclenché par la fascination qu’il exerce sur moi, par cet invisible charme fait de ses silences et des vibrations de son corps.

A chacun de mes départs, je me sens accablée, démunie. Il me reste alors les débris de son éclat. Il me reste la cendre lumineuse des instants passés, puisque c’est cela qui constitue l’essence des souvenirs, ces particules évanescentes qui scintillent dans la mémoire.

A chacune de nos retrouvailles, je me sens à nouveau contaminée par ses doux et chauds effluves. Chaque fois un peu plus. Je surgis dans sa chambre et, à nouveau je me retrouve engoncée dans sa rassurante présence. Nous nous effleurons, nous nous respirons, nous associons nos atomes de surface et je sais que quelques heures plus tard ne demeureront que les réminiscences de cette sensation. Une approximation.

Chaque jour nous nous retrouvons, chaque jour nous nous séparons. Et chaque jour je fais l’amer constat que le bonheur n’est pas une chose continue ni acquise. Il flâne simplement dans nos vies, comme ces péniches qui passent dans les eaux du canal et l’instant d’après disparaissent de notre vue.

Nikos était tout à l’heure d’une extravagante beauté dans la lumière qui ressemblait à celle de l’automne, noire splendeur, manteau long et écharpe en laine pour affronter une fraîcheur incongrue en cette saison, regard azur pour illuminer toute cette obscurité qui le parait. Il était très exactement comme j’aime qu’il soit, lumineux, avec son sourire comme un bijou sur ses lèvres pour offrir l’apparence de la gaieté. Nous marchions lentement dans les rues, nous parlions un peu. Quelques mots, l’évocation d’un ancien séjour parisien, le Grand palais, l’île de la Cité… Il m’a offert un instant de bonheur.

Je l’ai imaginé marchant dans la lumière des réverbères sur l’enrobé des rues et des avenues. Fugacement, il faut l’avouer, j’ai envié ce passé où je n’étais pas et me suis vue à ses côtés, silhouette frêle qui l’aurait accompagné, traquant le moindre des mots qu’il aurait prononcés, pour m’en délecter. Le cœur se retourne, parfois, comme un gant, et je me suis alors souvenu que, lorsqu’il était sorti de ma vie, il m’arrivait d’avoir du mal à m’en persuader. Et chaque retour à la raison était comme une gifle qui me réveillait, douloureuse. Et nous nous sommes retrouvés. Mais pour combien de temps ?

Le cœur, parfois, est un lieu de transit où passent des visages. Son visage à lui, comme un rêve, je me le suis accaparé, pour toujours, avec les étoiles qui scintillent dans ses yeux. A-t-on le droit de rêver, de simplement rêver à des lendemains où l’on ne sera peut-être pas ? On passe, par-ci, par-là, les itinéraires se croisent puis s’éloignent. Bientôt, il partira peut-être vers d’autres trottoirs mouillés, seul, dans une autre ville où pourraient s’engendrer de nouvelles envies de romans, des désirs d’histoires folles à inventer. Mais où je ne serai plus. Alors je me dirai qu’il aura été un passant qui sera passé, qui se sera attardé un moment dans l’aérogare de mon cœur. Qu’il aura été un sublime présent, une aurore boréale, une douceur impromptue dont je me souviendrai jusqu’à mon dernier souffle.

Ce matin, j’ai ouvert les yeux sur une lumière qui m’a éclairée jusqu’aux os. Celle d’un soleil de fin d’été, qui rasait l’horizon, belle et inattendue comme un retour de vague. La journée a commencé comme cela, dans une gaieté inexplicable autrement que par cette lumière qui envahissait la chambre.

Je me suis levée, je suis allée à la fenêtre. Une péniche passait, languide, elle avançait sur l’eau dans un silence apaisant. Et moi je la regardais glisser en me demandant où l’emmenait son voyage. En me demandant vers quelles ténèbres m’emporterait le temps aujourd’hui.

Extrait de "Lignes de fuite", un de mes romans non publiés

jeudi 7 mai 2009

Ecrire

Les cafés… L’hiver, il y passe le plus clair de son temps. C’est une façon de parler. Il serait plus exact de dire le plus obscur de son temps, tant il fait sombre dans ces lieux où il écrit en observant les clients qui discutent. Ou qui se taisent. Certains passent des heures, seuls et silencieux devant des bières pression, les yeux dans le vague, perdus dans on ne sait quels souvenirs.

Adrien est seul, lui aussi. Mais c’est différent. Il écrit. Il ne perd pas son temps. Il perd juste sa vie, goutte à goutte, comme tout le monde. Il abandonne aussi quelques litres d’encre, rien que cela. Mais il ne perd pas son temps, la plupart du temps, dans l’inutilité et l’absurdité d’un emploi. Certaines personnes se sentent importantes et ne sont pourtant pas plus indispensables à la vie et au monde qu’un moineau ou un arbre. Elles sont dans l’adoration de l’argent, elles se plongent dans le sérieux d’une carrière, d’un travail et s’enorgueillissent du devoir accompli, c’est-à-dire de rien. Car le sérieux n’est qu’un écran de fumée inventé pour masquer l’éphémère de la vie. Ce sérieux, qui ne sert à rien d’autre qu’à les occuper, à les distraire, occulte en elles l’indispensable : la joie simple d’être et d’aimer.

Écrire, cela n’est pas plus important ni plus sérieux qu’autre chose, c’est juste jeter quelques giclées d’âme dans les fibres du papier. Les enfants, avec des pinceaux et des couleurs, font cela très bien. Les écrivains n’ont que le jus noir qui coule de leur stylo.

Adrien espère qu’un jour, à force de remplir de cette sombre sève ses carnets, quelque chose se produira. Quelque chose qui pourra s’apparenter à la grâce. A un éblouissement, à une lumière qu’il parviendra à capter et à décrire avec un minimum de mots, pour soulever les cœurs. Une déchirure dans le voile sombre du monde. Quelque chose comme cela. Il croit encore que c’est possible.

Seuls deux ou trois écrivains peuvent être touchés par la grâce dans un même siècle. Et dans ce siècle-ci, il y a déjà deux ou trois élus. Savoir cela ne l’empêche pas d’écrire. Bien sûr, il n’attend pas le miracle. Une étincelle lui suffirait. Une phrase comme un feu follet qu’il parviendrait à enfermer dans un livre, il s’en contenterait. L’embrasement d’une seule page le rendrait heureux. Un mot comme la brûlure d’une cigarette sur le papier, simplement.


Extrait de "Rue des poètes", un de mes romans non publiés

Nomade

Depuis quelque temps, vous le saviez. Depuis longtemps, même, vous le saviez. Il fallait bien que cela arrive. Il n’y a pas de fatalité dans ces mots. Juste de la lucidité. Une décision que vous avez prise, la délivrance. Vous êtes là, debout sur le chemin de halage, les bras croisés sur la poitrine. Lentement, votre regard glisse sur l’eau sombre du canal. Vous plissez un peu les yeux. Vous ne pleurez pas, vous ne souriez pas non plus. Vous ne savez plus sourire. C’est le soleil d’automne qui rougit vos paupières fripées. Depuis quelque temps, donc, vous le pressentiez. Maintenant, vous avez acquis cette certitude, qu’il n’y en a plus que pour quelques minutes, que c’est votre dernier voyage. A quoi pensez-vous ?

Vous êtes là, près de l’eau, vous êtes âgée, déjà. Pourtant, vous êtes jeune, en regard de l’état civil. Vous n’avez que trente ans. Votre regard transparent, usé jusqu’à la transparence par les ternes paysages engouffrés au fil des années, les corps nus et flasques qui vous ont pénétrée, la grisaille des villes, effleure les berges. Vous vous attardez encore à ressentir, avec votre cœur, avec votre peau, les sensations accumulées, les souvenirs de toute votre courte vie. Votre lent et inutile parcours sur la terre, des promesses, des prières et des peines. Des espoirs naufragés, aussi, des douleurs. Des ravissements et des peurs. Des désillusions, surtout. Un visage aimé, perdu depuis longtemps. Le seul visage aimé. Et des rires, des baisers, des étreintes, la jeunesse envolée.

Votre corps. Il est rompu. La fatigue s’y est installée, définitivement. Votre esprit, il n’a plus de souffle, plus de rêves. A cet endroit précis, il n'y a pas d'écluse, pas de courant, pas de vent. Tout à l’heure, vous glisserez sans effort, happée par l’eau noire jusqu’au fond du sombre miroir. Votre dos se plie, vos jambes se dérobent, vos résidus de muscles souffrent. Votre sourire, oublié, est édenté. Votre corps est dévasté. A trente ans, vous avez déjà ce corps-là, ravagé par trop peu de vraie vie, par les coups, les abus d’alcool, les drogues, les nuits dans le froid à vendre votre corps à des désirs inconnus.

Votre âme désormais est nomade, libre, ivre de la folle liberté de n’avoir plus de comptes à rendre à personne, à aucun souteneur, à aucun flic, à aucun juge, à aucun de ces tyrans ordinaires qui peuplent les villes.

C’est votre dernier voyage. La Terre continuera sans vous son incessant voyage sur son orbite, avec sa croûte saturée d’humains qui fourmillent, qui errent, qui rêvent, qui crèvent.

Vous vous souvenez.

Vous ne savez plus grand chose de vous-même, de vos origines. Tout s’est emmêlé dans les méandres du temps. Vous remontez loin dans vos souvenirs. Vous vous figez sur un instant précis, un bonheur qui vous revient, lumineux. Vous vous souvenez juste de votre nom. Votre âge, vous le supposez. Vous êtes enfant. Vous jouez. Il fait soleil. Vos parents, bateliers, ont descendu quelques chaises de la péniche, ils boivent le café avec leurs amis. Vous n’écoutez pas les conversations des adultes. Vous entendez les voix, les rires, les intonations. Mais vous n’écoutez pas les mots. Vous jouez. Quelques brindilles, quelques cailloux, un peu de terre suffisent bien pour inventer des mondes et des histoires. Il y a un fil, sur la terre du chemin de halage. Votre main d’enfant le saisit. Le fil est long, entortillé. Vous le déroulez. C’est votre mémoire.

Elle se déroule, enfin. Vous vous asseyez et vous pleurez. Depuis longtemps vous n’aviez pas pleuré. Vous n’aviez plus de larmes.

Plus tard, tout à l’heure, quand vous serez dans la froideur de l’eau, vous vous souviendrez moins. Tout sera sombre et glacial. Il vous faudra faire effort, à l’ultime moment, ou inventer, mentir un peu, peut-être, pour faire du souvenir de votre vie une véritable histoire. Une histoire qui pourrait ressembler à la réalité, c’est-à-dire à vos rêves.

Une histoire vraie, en quelque sorte. La vie que vous auriez voulue et que le monde vous a volée.

mercredi 6 mai 2009

L’instant précieux du début

Au café, sur ma gauche, dans l’angle gauche de ma vision, un couple prend l’apéritif. Une femme, un homme. Ils pourraient aussi bien ne rien boire. La boisson qu’ils portent à leurs lèvres n’est qu’un prétexte pour se trouver face à face, ailleurs que dans la rue. Elle, jeune, très belle, élégante, élancée, vêtue d’une robe légère, courte, laissant voir de longues jambes déjà bronzées. Ses yeux sont très clairs, bleus je crois, elle sourit. Elle sourit comme on le fait en présence de quelqu’un qu’on connaît à peine et qui vous intimide un peu. Lui, moins jeune, moins beau, déjà atteint par l’usure que la vie plaque sur les visages, sourit du même sourire, le sourire de l’émerveillement étonné.

Plusieurs fois, par dessus la table, ils s’embrassent. Ils semblent le faire dans le secret. Je devine qu’ils forment un couple tout neuf, un balbutiement de couple. Un embrasement. Ils s’observent, se parlent peu, se caressent les mains. On dirait qu’ils se cachent un peu. Ils sont hors de la vie, à cet instant, ou plutôt ils sont au cœur de la vraie vie, celle qui palpite, mais ils sont loin de la vie d’ici, des habitudes, du bruit, des conversations, des conventions. La chaleur ne semble pas les accabler. Ils sont dans un désert où il n’y a qu’eux. Un désert de neige, un désert blanc sur lequel souffle un vent nouveau, une fraîcheur.

Je me demande, ont-ils déjà fait l’amour ? Vont-ils le faire, bientôt, tout à l’heure ? Je ne sais pas. Je ne saurai jamais. Mais je devine en eux un désir puissant, leurs corps, leur peau, transpirent ce désir, ils en suffoquent un peu, ils osent à peine se parler, de peur peut-être de briser le fil qui les relie.

A cet instant, je sens qu’il est dans le sursaut de la vie qui s’enfuit, je sens qu’il cherche à s’enfuir du temps qui s’applique à le buriner, à le marteler ride après ride.

Aujourd’hui, cet aujourd’hui avec elle est tout, est toute la vie compressée dans une journée, toute la vie qui s’enflamme en quelques heures. En quelques minutes peut-être. Demain ne sera rien. C’est aujourd’hui que tout se joue, c’est aujourd’hui, dans le regard aimant et désirant de la jeune femme, que toute la vie s’illumine. Il n’y aura pas de lendemain, pas de lendemain aussi beau, aussi pur. Je la lis sur leur visage, la précarité. Seul compte aujourd’hui. La fusion. La confusion des sens et des sentiments.

Je sais que là, maintenant, il l’aime plus que sa vie, puisque toute sa vie est là, enfermée et libérée dans l’instant précieux, non renouvelable.

L’instant précieux du début.

Extrait de "C'est ici le paradis", un de mes romans non publiés

mardi 28 avril 2009

Ailleurs

Argent, profit, croissance, spéculation… Sous couvert du spectre des récessions, partout des hommes, effroyables comptables, ensanglantent d’autres hommes, les font trimer et violent leurs rêves. Orgueilleux, gonflés de suffisance et de certitudes, ceinturés d’écrans de chiffres, ils ne savent rien des solitudes des fins de nuit, du courage qu’il faut pour attendre, matin après matin, un train ou un autobus dans le froid ou sous la pluie. Ils ne savent rien des fatigues accumulées, des insomnies, des lourdeurs dans les articulations et le cœur. Et ils ignorent tout de la patience infinie qu’il faut déployer pour espérer qu’un jour se produise un miracle, un changement dans l’ordre des choses : transporter sa vie dans un ailleurs où elle serait enfin visible et paisible. Simplement paisible.

Un ailleurs inaccessible, fait de lenteur et de silence, de vent et de falaises effilées, de neige et de forêts où se perdre, de bateaux figés sur des lacs gelés, loin du chaos des villes encombrées et des heures lourdes des bureaux, des usines et des surfaces commerciales. Que faut-il faire pour se délester de cette douloureuse pesanteur, pour franchir la porte qui mènerait à la calme légèreté des jours et des nuits ? Que faire pour se dégager des carcans et, insouciants, se plonger dans la douceur d’un monde taillé à nos mesures, un monde réglé sur le rythme de nos métabolismes, de la vie et des amours qui voudraient la peupler ?

Englués dans nos habitudes, nous ne parvenons même plus à la rêver, cette beauté où voyager. Nous savons seulement que là-bas, nous pourrions renaître et exister un peu plus. Nous savons seulement que cet ailleurs est notre vallée. Et qu’elle nous attend. Nous ne savons rien d’elle et pourtant elle nous manque à chaque instant. Elle nous manque comme nous manquent des visages anciens, des regards qui se sont exclus de nos vies. Elle nous manque comme nous manque tout ce qui nous donne quotidiennement la sensation d’être ici en exil sur un territoire étranger.

Depuis quelque temps, régulièrement, je me demande ce qu’il faudrait faire pour que les choses aillent mieux, pour trouver le courage de revenir dans le monde et d’accompagner à nouveau les autres dans leur marche insensée. Vers où, je ne sais pas. Ce matin encore je me pose cette question. Et, comme chaque fois, je m’aperçois qu’il n’y a pas de réponse. Qu’il ne peut y en avoir. Je m’aperçois qu’il suffit d’aller dans la rue, de régler son pas sur celui de la cohorte et d’avancer, quoi qu’il advienne, sans réfléchir. Vers où, je ne sais pas. Il n’y a pas de réponse à cela.

" Je est un autre ", a écrit Rimbaud. Peut-être que nous ne sommes jamais nous-mêmes, peut-être que pour vivre il faut simplement nous livrer aux autres sans penser, sans compter, en sachant seulement que jamais nous n’obtiendrons de réponse. En nous persuadant que seul l’écho de nos mots d’amour résonnera encore un peu dans la mémoire de ceux à qui nous les avons adressés. Et que rien d’autre n’a de sens.

Les déferlantes de Claudie Gallay

Je viens de terminer le roman de Claudie Gallay, « Les déferlantes ». Je dis « roman », mais c’est autre chose, je crois. Je n’ai pas de nom à mettre, mais c’est sûr que c’est autre chose qu’un roman. C’est plus que cela. Bien plus.

J’ai lu lentement. Très lentement. J'ai mâché chaque mot. Je ne voulais pas gâcher. Je ne voulais pas quitter le livre. Très peu de livres sont comme ça, à contenir des univers et des gens qu’on ne peut se résoudre à abandonner, à contenir autant de nourriture. Certains livres de Christian Bobin possèdent cette magie-là. Maintenant, il y a ce livre de Claudie Gallay.

J’ai fermé le livre, quelques instants après en avoir lu les derniers mots. Il fallait bien. Je me suis senti très seul, d’un coup, désorienté dans le vrai monde d’ici, ce monde réel d’où la poésie semble de plus en plus s’absenter pour laisser place au règne du nécessaire. J’ai posé ma main sur la couverture, j’ai fermé les yeux, quelques secondes. Peut-être pour m’approprier le monde dans le livre. Pour y rester encore un peu. Et puis je l’ai ouvert à nouveau, vers les premières pages. A la deuxième, très exactement. Autour du titre, l’écriture de Claudie Gallay, sa signature. Quelques mots d’elle, datés du 15 mars 2009, qu’elle avait glissés pour moi sur le papier, au Salon du livre de Paris.

« Les déferlantes » viennent de se déverser dans ma vie. Des déferlantes lentes, des gouttes précieuses qui perleront longtemps dans ma mémoire. Je sais déjà qu’un jour je m’y baignerai encore. Forcément. Je sais déjà qu’un jour je retournerai dans le livre pour revoir Nan, Théo, Lili, Lambert, Morgane, Raphaël, Max… Le petit peuple de la Hague. J’irai dormir à La Griffue, si près des vagues…

Les déferlantes, de Claudie Gallay - Éditions du Rouergue, collection La Brune